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LE CHIFFRE HUIT,
SYMBOLE DE RESURRECTION |
Nous nous trouvons au chevet de notre
église et observons la pyramide formée
par le déambulatoire, le chœur, le
massif barlong et le clocher.
On peut penser que faire un clocher de
forme octogonale et des rosaces à huit
branches (1) n’est pas anodin. Les
chiffres et les figures géométriques ont
toujours été un moyen d’exprimer la
perfection, d’abstraire quelque chose
pour le rendre plus spirituel. Lorsque
nos yeux passent des rosaces à huit
branches au clocher octogonal, le
chiffre huit s’impose par cette
répétition. La tradition et surtout les
écrits des pères de l’Eglise lui
rattachent l’idée de résurrection. On
aurait donc, le clocher pointant vers le
ciel, lieu promis de notre résurrection,
et les rosaces marquant le lieu du
mystère, le chœur où se célèbre la messe |
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C’est sans doute un peu court, et
Richard Krautheimer (2) qui s’est
intéressé aux relations entre formes et
symboles au Moyen Age nous dit qu’elles
ne sont pas simples : « On pourrait sans
doute éclairer ces rapports en parlant
d’un réseau de connotations réciproques
partiellement sensibles… » et il cite
Jean Scott l’Erigène, théologien
irlandais du IXème siècle qui, en
évoquant le symbolisme du nombre huit,
son rapport avec le dimanche et avec
Pâques, avec la résurrection et la
régénération, avec le printemps et la
vie nouvelle, note que toutes ces
connotations diverses sont présentes à
son esprit et « vibrent en lui lorsqu’il
pense au nombre huit ».
Pour les penseurs de l’époque, le
symbole ne serait pas un langage secret
dont il faut connaître le sens de chaque
mot, mais plutôt une image ouverte qui
permettrait à l’esprit de voyager entre
différents pôles, une sorte de machine à
penser où l’esprit ne serait pas
prisonnier d’une seule signification,
mais pourrait s’évader dans de multiples
directions.
Imaginons donc en reprenant les
références de notre théologien ce que
les deux « huit » de notre
chevet
pourraient produire si on essayait de
penser de cette manière. |
D’abord la résurrection : le clocher
pointe vers le ciel, la vraie patrie des
baptisés et l’église forment le lien
entre la terre et le ciel, entre Dieu et
les hommes ; à mi-distance justement se
trouvent les rosaces. Sont-elles fleurs,
soleil ? On a dit du Christ qu’il était
soleil de justice, la fleur de l’arbre
de Jessé ou du cantique des cantiques,
et c’est lui par son incarnation qui
justement fait le lien entre Dieu le
père et l’homme et permet à l’homme de
rejoindre le ciel qu’il avait quitté
avec le péché original.
Prenons maintenant le dimanche : le
clocher est un signal visuel et sonore
qui appelle le chrétien à la messe du
dimanche. Par sa hauteur on le voit de
très loin, des cloches y sont logées.. |
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Les rosaces marquent le lieu de la
célébration. Si on les considère plutôt
comme des étoiles, on pense alors à
l’origine païenne de cette figure qui
montrait la présence astrale d’une
personne et donc son éternité. Là encore
l’idée s’applique au Christ présent dans
le sacrement de l’Eucharistie qui se
déroule dans le chœur. Elle nous renvoie
aussi à Noël et donc encore à ce Dieu
fait homme.
La référence à Pâques convient tout
aussi bien : c’est la victoire du Christ
sur la croix. Le clocher est un signal
victorieux planté au centre de la croix
tracée au sol par le bâtiment. La messe
est la Pâque hebdomadaire des chrétiens.
De plus, dans le cycle des liturgies,
Pâques est placé à l’équinoxe de
printemps ce qui nous amène à l’idée de
régénération de la nature. Pâques est
également le moment où se célébraient
les baptêmes, régénération spirituelle
par excellence (première renaissance du
chrétien qui meurt au péché). Ce
sacrement est matérialisé au fond de
l’église par une cuve également
octogonale.
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Le système a l’air de fonctionner, mais
peut-on en conclure que les bâtisseurs
de Saint Saturnin avaient les mêmes
conceptions, étaient nourris aux mêmes
sources ?
Il est en tout cas intéressant de noter
que ces deux éléments importants qui
nous interpellent sur ce chevet
touchent, par leur lecture possible, à
la signification première de l’église, à
la base même des croyances du chrétien.
L’homme est sur terre ; par des étapes
successives (étagement pyramidal des
formes) il tend vers le ciel, en passant
par ce mystère parfait qu’est
l’incarnation du Christ. Idée centrale
de toute la pensée chrétienne, elle est
marquée par une forme géométrique,
ouverte à toutes sortes de connotations,
parce que très simple et très abstraite.
Un décor plus figuratif nous
rapprocherait de l’anecdotique et ne
ferait que nous distraire de
l’essentiel. Ce chevet, par sa
simplicité et son abstraction, nous mène
vers plus de spiritualité. |
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POURQUOI LE CHIFFRE HUIT ?
Il faut maintenant examiner l’origine de
cette façon de voir les choses et
pourquoi le chiffre huit a été choisi
plutôt qu’un autre.
Le dimanche comme jour de culte pour les
chrétiens est le rite le plus ancien du
christianisme. Ignace d’Antioche au 1er
siècle dit : « Ceux qui vivaient selon
l’ancien ordre des choses sont venus à
la nouvelle espérance, n’observant plus
le sabbat mais le dimanche, jour où
notre vie s’est levée par le Christ et
par sa mort ». Dès le début, on trouve
la double idée que le dimanche est à la
fois le premier et le huitième jour de
la semaine : c’est le premier jour de la
semaine juive basée sur le récit de la
création du monde ; c’est le jour du
soleil dans le calendrier astrologique
(étymologie qui s’est conservée en
anglais : Sunday), d’où l’idée que le
Christ est le soleil de justice.
Huit jours après sa mort (Jean 20,26)
les apôtres sont réunis et Jésus leur
apparaît ; le dimanche sera donc la
continuation de cette réunion, sa
commémoration, puis par extension la
Pâque hebdomadaire.
S’il est à la fois le premier et le
huitième jour, il est donc un, il
contient tout le cycle (3).
Un autre point historique important se
situe au IVème siècle. Constantin
profitant du fait que le premier jour de
la semaine est vénéré par les païens
comme jour du soleil et en même temps
par les chrétiens, en fait un jour chômé
consacré aux cultes. Cette initiative va
apparaître aux chrétiens comme une
victoire sur le judaïsme, pour qui le
jour sacré est le samedi, jour du
sabbat, donc le septième jour.
On voit à partir de là s’échafauder
toute une construction théorique en vue
d’expliquer la supériorité du
christianisme sur le judaïsme. De
nombreux écrits montrent la
préoccupation de marquer la fin de
l’ordre juif. |
Pour les juifs, Dieu a créé le monde en
six jours, le septième il s’est reposé.
Les chrétiens vont s’appliquer à montrer
que le sabbat est révolu, Jésus en ayant
lui-même montré l’aspect secondaire (4).
Eux, ils ont le Nouveau Testament dont
l’Ancien n’était que la figure. Le
septième jour est celui de
l’incarnation, ce n’est pas un repos
inactif mais un temps consacré qui
succède aux jours profanes, il devient
la figure du monde christianisé. Le
sabbat juif préfigurait le sabbat
perpétuel qu’est le christianisme : tous
les jours de la semaine consacrés à Dieu
et non un seul (3).
Il y a donc nécessité d’un huitième
jour. Ce huitième jour sera le monde à
venir, eschatologique. Mais comme il est
en même temps le premier, l’idée du
Christ alpha et oméga (5) vient se
superposer : au premier jour de la
création on a la venue de l’esprit, au
huitième jour on aura le retour de Dieu.
D’où l’idée de résurrection liée au
nombre huit.
Si dans l’orient chrétien on en restera
à cette vision symboliste, la tradition
occidentale plus réaliste et historique
va y chercher une clef pour expliquer la
succession des époques et va essayer de
prévoir l’histoire du monde. Des pensées
millénaristes vont se développer,
diviser l’histoire du monde en sept
millénaires, essayer de fixer des points
de repères historiques, prévoir la fin
du monde, etc... |
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(1) il s’agit des rosaces en formes
d’étoiles qui font une frise autour de
la partie supérieure du chevet.
(2) R. Krautheimer : « Introduction à
l’iconographie de l’architecture
médiévale » 1942
(3) Ouvrage collectif « Le Dimanche » :
Lex Orandi ; Editions du Cerf.
(4) En ayant par exemple fait des
miracles ce jour-là.
(5) Première et dernière lettres de
l’alphabet grec, symbole du début et de
la fin. Dans l’apocalypse, Jean parle du
Christ comme début et fin de toute
chose. |
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