Un aqueduc…
Légende ou réalité ?
 

 

Etude réalisée par Armelle Guillaumont et parue en 1999 dans le n° 17 du Bulletin de L'Association du Site de Gergovie 
 


Au premier plan, les ruines du château d’eau
 

En devenant guide pour le château de Saint Saturnin, on est à la fois fasciné et ennuyé par une partie du texte de la visite.
Fasciné parce que l'histoire semble fantastique : les seigneurs de Saint Saturnin auraient, à une époque indéterminée, construit un château d'eau dans leur parc, afin de recueillir l'eau d'une petite source de la montagne d'en face, à laquelle ils auraient fait franchir les Gorges de la Monne au moyen d'un aqueduc !

Ennuyé parce qu'il est difficile de montrer la construction qui disparaît sous le lierre, et que l'histoire est finalement tellement invraisemblable qu'à la moindre question l'explication semble devoir, en fin de compte, se résumer à une légende.
Pourtant, le texte des visites reprend la tradition orale perpétuée par les habitants de Saint Saturnin : le château d'eau aurait été l'ancien réservoir du château, alimenté par un aqueduc qui allait chercher l'eau sur le Puy de Peyronère, à la source appelée Sazeirat



L’aqueduc de Saint Saturnin.
 

On raconte cela, bien sûr, mais pas de manière très convaincue non plus. Il est vrai qu'on se souvient que jusqu'au début de ce siècle l'eau arrivait à Saint Saturnin d'une source située en amont, qui utilisait la pente naturelle menant jusqu'au village... Le système était quand même plus simple !

Et pourtant, bien que n'étant indiqué que comme un tas de cailloux sur la carte IGN, et radicalement inexistant sur le cadastre, l'ancien château d'eau se dresse encore aujourd’hui, massif et intrigant, au-delà de la limite du parc actuel du château. Une construction aussi imposante n'a pas pu être édifiée à la légère, ni pour des besoins minimes ou accessoires en eau, mais pourquoi alors ? A quelle époque a-t-on pu avoir besoin de lui ? Certainement ne disposait-on pas alors d’un apport en eau suffisant par les moyens naturels. Enfin, son existence est-elle effectivement liée à celle d'un aqueduc et à l'utilisation de la source de Sazeirat ?

Plusieurs points sont donc à démêler :
- Quels sont les points d'eau pouvant alimenter naturellement Saint Saturnin, et dans quelle mesure ont-ils pu se révéler un jour insuffisants ?
- Y a -t-il encore de nos jours des traces visibles de cette incroyable installation sur le terrain ?
- Des manuscrits anciens recèlent peut-être quelques clefs de cette énigme.
- Mieux encore, les entrailles de Saint Saturnin, mises au jour pour l'utilité publique ou par une curiosité particulière ont sans aucun doute quelques secrets à livrer.
Enfin, il semble que la source responsable de toute cette histoire ait fait parler d’elle beaucoup plus récemment qu’on pourrait le penser aujourd’hui.

LES DONNEES DE DEPART ET CE QU’ELLES LAISSENT SUPPOSER

Afin de trouver la raison qui amena à construire le château d'eau à une certaine époque, on peut répertorier les différents points d'eau accessibles aux habitants de Saint Saturnin et

peut-être découvrir en quoi ils ont pu être un jour estimés insuffisants.
Le fait est que Saint Saturnin a été installé sur son promontoire pour des raisons stratégiques à une époque où il valait mieux voir venir les pillards et s'en protéger par des escarpements naturels, tels que les Gorges de la Monne.



UNE COULEE STRATEGIQUE MAIS SANS EAU

Il y a 8 000 ans, lorsque les Puys de La Vache et de Lassolas entrèrent en éruption, une de leurs coulées de lave se déversa dans la vallée qu'avait creusée l'ancêtre de la Monne et de la Veyre (elles ne formaient qu'un seul cours d'eau, réunies avec bien d'autres actuels mais mineurs). Sur son trajet, elle barra un autre cours d'eau et fut ainsi à l'origine de la formation du lac d'Aydat, puis continuant à l'emplacement actuel de Saint Saturnin, elle s'arrêta à Tallende.
La Monne, qui n'était qu'une ramification venant rejoindre l'ancienne vallée de la Veyre, vit son cours contraint de changer de lit : l'ancien étant désormais rempli par la lave, elle se mit à le longer selon la pente naturelle. Le temps passant, elle se creusa un nouveau lit dans la tendre roche marno-calcaire, dégageant sans pouvoir l'entamer la trop résistante coulée de basalte. La roche dure de la coulée résista ainsi au temps, tandis que la roche tendre la bordant se laissait grignoter par les intempéries : ainsi naquit la butte de Saint Saturnin. C’est le fameux phénomène de l’inversion des reliefs !
Egalement contrariée, la Veyre se laissa quant à elle recouvrir en grande partie par la lave et devint une rivière souterraine qui n'émergea qu'au niveau du Moulin de Pagnat.

A son exemple, d'autres sources d'une moindre importance ont ressurgi de dessous la coulée de lave et sur tout son long. Ainsi, sortant de son flanc sud, on peut rencontrer la source de la Fridière en amont du pont portant le même nom, celle du Thieu en contrebas de l'ancien cimetière, et plus bas celle dite "de Denis", qui se jettent dans la Monne. Au nord, en amont de la Veyre, c'est la source de Vocan.
De la source de Cladeyrat, utilisée au XIXème jusqu'à la moitié de ce siècle il ne peut être question puisque son utilisation a nécessité d'énormes tra-vaux de captages.
Toutes ces sources ont été aména-gées par l'homme : on retrouve de vieilles cartes postales montrant le lavoir de la Fridière avec des Saturni-noises y lavant leur linge, les autres ont été captées au moyen d'un conduit maçonné...

Cependant, au nord, la coulée est moins abrupte que les gorges de son flanc sud. La Veyre est plus lointaine, et entre elles deux, le sol pouvait être creusé : des puits ont été pratiqués afin d'atteindre la nappe phréatique. Si on remonte aujourd'hui la rue Principale, on peut en dénombrer quelques uns sur la droite.
Il en existe ainsi un dans le jardin de Monsieur et Madame Delteil, qui a la réputation d'avoir alimenté tout le quartier environnant les années de grande sécheresse, car lui n'était jamais dépourvu d'eau.
Il y a celui de la place du Poids de Ville, protégé par une petite construction, mais aujourd'hui totalement muré pour des raisons de sécurité.
Il y en avait un, place de la Mairie, mais il a été recouvert d'une grande dalle puis par le goudron, et un autre subsiste encore en amont à Rochemanie, etc...
Force est de constater que ces différents points d'eau ont quelque chose de flagrant en commun : ils sont tous situés en contrebas de la butte du haut Saint Saturnin, du village ancien. Les plus éloignés d'entre eux sont matérialisés par l'implantation d'une maison forte ou d'un hameau : c'est le cas de Vocan, Rochemanie, Pagnat, peut-être même du quartier d'Issac (il s'agit d’un quartier qui s'est toujours un peu démarqué de Saint Saturnin, qui devait être à l'origine un petit hameau le jouxtant, il commence à peu près au restaurant de la Toison d'Or). Mais oublions ces derniers points d’eau,
 
leur indépendance les rend sans rapport avec le problème du haut du village.
Nous voici donc avec des Saturninois entourés d'eau, mais devant parcourir à chaque fois de réelles distances pour s'approvisionner : soit descendre la rude pente menant à la Monne pour trouver une source, soit aller de l'autre côté à la rencontre d'un puits.
Une remarque au passage : avez-vous déjà observé que sur le dessin de Guillaume Revel, représentant Saint Saturnin en 1450 (Bulletin ASG n° 16), une des portes des fortifications descend vers la Monne ? Cet accès permettait sans doute d'atteindre la rivière, mais surtout, il avait dû être pratiqué à cet endroit pour pouvoir aller à la source du Thieu (on remarque marque très bien, au-dessus, les tombes de l'ancien cimetière). Cette source aujourd'hui oubliée par la plupart devait être un des pôles de la vie des Saturninois.
Donc, l'eau potable était à peu près assurée malgré son accès difficile. Mais on sait que l'un des fléaux des temps anciens était constitué par les incendies qui régulièrement ravageaient les habitations du fait de l'omniprésence du feu dans la vie quotidienne. C'est sans doute cette préoccupation qui provoqua la nécessité d'amener de l'eau au plus près des maisons et fit construire par les habitants des citernes.

DES PALLIATIFS AU MANQUE D’EAU


Sans pouvoir les dater, elles demeurent néanmoins les témoins d'une carence en eau et des efforts des habitants pour l'approcher de leurs habitations.
La première se trouve rue des Nobles, dans le soubassement de la terrasse de Monsieur et Madame André Beraud. Elle servait à recueillir l’eau pluviale drainée en amont par la rue.

Là, l'accueillait une sorte de bassin de décantation à partir duquel elle était menée jusqu'à une citerne donnant sur une cour intérieure. Tout ce système a sans aucun doute été refait au début de ce siècle.
La seconde est appuyée contre le mur du jardin de Monsieur et Madame Humbert Jacomet un peu plus bas dans la même rue.
Cette eau, bien entendu, ne pouvait être qu'une eau d'appoint : non potable et irrégulière dans sa quantité, elle ne devait que compléter l'apport des sources dont il a déjà été fait état.
Et puis dans cette quête des points d'eau, on pense quant même à la belle fontaine de la place de l'Ormeau. Bien sûr, elle n'est que le moyen de la diffusion de l'eau d'une source et non pas source en elle même. Mais justement, comment expliquer sa présence au beau milieu de ce village dépourvu d'eau : quelle eau pouvait bien être conduite jusqu'à elle ?
Toutes les sources répertoriées précédemment sont en contrebas, leur eau ne pouvait donc pas, sans une pompe, être conduite jusqu'à elle. Il s'agissait peut-être d'une autre source, située en hauteur. Mais alors cela suppose un certain éloignement et en tout cas l'emploi d'un système complexe pour conduire l'eau jusqu'à la place de l'Ormeau. Peut-on raisonnablement songer à une pompe ?

 

Une étude de Madame Agnès Guillaumont (Bulletin de l’Académie des Sciences Belles Lettres et Arts de Clermont-Ferrand) permet de dater avec précision cette fontaine et d'envisager quel système serait le plus plausible.
"Son ensemble reste très gothique dans son décor, l'entrecroisement des branches et les rosettes peuvent indiquer des rinceaux de la première Renaissance, mais d'une manière très frustre".
Sur le fût est répétée deux fois l'inscription du phylactère : "tel est mon us". "L'écriture, la langue et l'esprit du texte indiquent certainement la fin du XVème siècle ou le début du XVIème siècle. On a voulu faire parler la fontaine ou le donateur : personnalisation ou devise de celui dans les habitudes duquel entrent les œuvres pour le bien public."
L'observation des blasons martelés, par lumière rasante, a permis de les identifier et par là-même de préciser la datation déjà ébauchée. On y retrouve celui de la famille de Broglie, mais qui à l'évidence a remplacé de plus anciens au XVIIème siècle. Il y a celui du comte Jean III de La Tour d'Auvergne, marié en 1497 à Jeanne de Bourbon Vendôme ; celui de cette dernière ; enfin celui de l'alliance entre la famille de La Tour d'Auvergne et celle de La Trémouille (parents de Jean III : Bernard et Louise mariés en 1444).
Jean III, contemporain de cette fontaine décède en 1501, suivi peu après par sa femme : cette fontaine a donc été construite entre 1497 (date de son mariage dont il est fait état sur la fontaine) et 1501 (date de son décès).
C'est donc à la fin de l'époque gothique, au tout début de la Renaissance, que cette fontaine a été construite (adieu la légende de la reine Margot dont la générosité aurait signé avec ce que l'on a longtemps pris pour de petites marguerites). La fontaine est celle de son arrière-grand-père.
A cette période il a donc fallu réaliser une installation qui amène l'eau jusqu'à elle, au cœur du village (si elle n'a pas été déplacée depuis), ou selon une autre hypothèse tout aussi vraisemblable, dans la cour du château.

Récapitulons les composantes nécessaires :
- une source située en hauteur pour que la pente suffise à conduire l'eau car la pompe n'est pas envisageable,
- cette source ne pouvant être immédiatement proche, un système pour la conduire jusqu'à la fontaine.
La démonstration est peut-être un peu grossière, mais on est naturellement enclin à songer à la source de Sazeirat émergeant des coteaux du Puy de Peyronère dominant Saint Saturnin par-delà la Monne, et au château d'eau dont la construction semble a priori compatible avec l'époque évoquée. On peut songer à associer les deux : le château d'eau aurait pu être construit dans le but d'alimenter la fontaine. Il pourrait donc dater du début de la Renaissance.
Pour vérifier ou infirmer cette hypothèse, la première démarche est d'aller sur place afin de constater ce qu'il peut subsister du système.

OBSERVATION SUR PLACE : CE QUI EST ET A PU ETRE

La promenade à la recherche de ces vestiges suivra le trajet emprunté par l'eau. Elle commencera à la source de Sazeirat, continuera au château d'eau, où se trouveront peut-être encore quelques traces de l'aqueduc, puis se terminera au château-fort.

LA SOURCE DE SAZEIRAT ET SES ENVIRONS IMMEDIATS

Pour se rendre jusqu'à elle, à pied de Saint Saturnin, le chemin le plus court et assurément le plus pittoresque, est celui qui franchit, en contrebas du château, le pont de la Fridière. Après avoir suivi sur une bonne longueur le flanc de la coulée de lave, on plonge vers la Monne pour remonter abruptement sur les côteaux du Puy de Peyronère. Le chemin d'origine a été emporté par un éboulement, dans les années 20 ou 30, ce qui forma un véritable barrage sur la Monne. Il céda brutalement peu après, inondant la zone du Pré-bas.
On finit par déboucher sur un chemin plus large accessible aux automobiles, et, en le suivant, à gauche, on en vient à longer une parcelle boisée dans laquelle coule encore la source de Sazeirat.

Sarcophage et conduites

Lorsque l'on se poste sur la bribe de chemin qui surplombe la source de Sazeirat, on peut apercevoir, dans le fossé limitant le champ cultivé en amont, ce que tout le monde connaît sous le nom de " La fontaine de Sazei-rat". Aujourd'hui disparaissant dans la mousse et les herbes folles, il s'agit du bac en arkose qui recevait autrefois l'eau de la source. Il est fracassé en plusieurs morceaux, et sa forme indique qu'il s'agissait à l'origine d'un sarcophage qui a dû trouver là un réemploi.
La source était captée au-dessus de lui, dans un champ aujourd'hui cultivé, mais qui autrefois était un pré. Les labours profonds ont détruit tout le captage et la source s'est dispersée, ne devenant plus qu'un modeste filet ressurgissant dans le bois en contrebas. Des fragments de conduites en céramiques ont pu être ramassés dans ce champ : leur intérieur est vernissé.
D'ailleurs les chasseurs se souviennent qu'un conduit bâti traversait le champ, et ils savaient qu'au sarcophage, ils pouvaient faire boire leurs chiens.

Dans le bois de Sazeirat

Le propriétaire de ce bois, Monsieur Michel Aubry, a fait creuser une rase dans laquelle s'écoule aujourd'hui le filet subsistant de la source. La première chose que l'on remarque en se penchant sur cette eau, est qu'elle est extrêmement calcaire : la moindre brindille, le moindre gravier se trouvant sur son cours se trouve bientôt recouvert d'une gangue de calcaire le rendant méconnaissable.
De chaque côté de cette rase sont les vestiges de deux constructions : du côté du chemin, une voûte émerge, ressemblant à une entrée de cave dont la façade se serait effondrée ; du côté opposé, une petite cabane ressemblant à celle des bergers qui, cachée sous les broussailles a reçu un malheureux coup de pelleteuse et est aujourd'hui à peu près arasée.
L'intérieur de la première semble avoir été complètement rempli de terre suite à son abandon, mais en y rentrant à quatre pattes, on remarque une intrigante niche au fond, carrée, bâtie grossièrement. On songe que c'était peut-être par là que l'eau arrivait autrefois, et que cette voûte cache peut-être un bassin...
Quant à la deuxième construction, beaucoup plus petite de proportions, elle avait cette particularité, jusqu'à une époque récente, d'être toujours pleine d'eau ...
Si l'on essaie de descendre en aval de ce bois afin de retrouver la source dans son itinéraire vers la Monne, il faut franchir une incroyable barrière de broussailles et s'approcher de la falaise surplombant la rivière. Là on peut suivre une sorte de muret très bas, et à son extrémité, les concrétions de calcaire réapparaissent, luisantes d'eau. Ce muret serait-il un bâti destiné à protéger une conduite d'eau...

La « voûte » de Sazeirat en 1995

LE CHATEAU D'EAU

Autrefois englobé dans le parc du château de Saint Saturnin, il fait au aujourd'hui partie de la propriété de Monsieur André Molles. Grâce à son autorisation et à l'aimable collaboration de ses voisins, nous avons pu observer la construction sous tous ses angles et dans ses moindres recoins.

Situation et plan général

Le château d’eau se trouve aujourd'hui à quelques mètres de la limite actuelle du château. Situé au bord de la falaise surplombant la Monne, à peu près dans l'alignement de la source de Sazeirat qui le domine de l'autre versant, il est édifié sur un petit monticule de 3 à 4 mètres de haut environ, d'origine volcanique sans nul doute. Sa base est restée à l'état brut d'accumulation de rochers basaltiques. Il a été construit "au premier étage" et sa forme a suivi les irrégularité de son assise.
« Au premier abord on pourrait prendre cette construction pour une tour, un ancien donjon abandonné, qui plus tard, aurait servi de poste de défense avancé. Mais si l'on veut l'examiner de près, on voit bientôt que l'on a aucune ouverture, aucune meurtrière, rien qui ait pu servir à la défense. C'est une maçonnerie très serrée faite de chaux grasse et de simples moellons pas trop gros et parfaitement posés. Ses angles seuls sont en pierres d'appareil ».
Telle est la description que fit en son temps Monsieur du Ranquet, professeur à l’Université de Clermont (notes inédites), de l'aspect extérieur du château d'eau.
On le présente en général comme étant de forme pentagonale (Messieurs G. de Bussac et H. du Ranquet « SAINT-SATURNIN, « Le Touriste en Auvergne », éditions Georges de Bussac, 1959).
Il est difficile d'en juger de l'extérieur puisque le lierre cache une grande partie de ses murs. Si on grimpe jusqu'à une brèche pratiquée dans l'un de ses murs, et que l'on parvient à se glisser à l'intérieur, on ne peut déterminer ce qui est angle et ce qui ne l'est pas : l'ensemble est plutôt de forme ronde ponctuée de petits angles irréguliers.
Sur cette structure principale, vestige de l'ancien réservoir, se greffe à l'extérieur un mur rapporté, parallèle, qui, partant de la base du monticule, atteint finalement le haut de la construction, et, en un coude rentre dans le mur de la structure porteuse. On songe immédiatement à une rampe permettant l'accès au réservoir, puisque l'espace laissé entre les deux murs est exactement celui nécessaire au passage d'un homme et que son sol monte progressivement.

Dès lors se pose la question de savoir si une porte existait.
Observons au préalable le fameux supposé réservoir.

Le réservoir

Mise à part la « rampe d'accès », les murs périphériques du château d'eau sont doubles. Entre les deux parois qui sont de même importance (environ 20 cm d'épaisseur), un espace d'à peu près 50 cm de large a été comblé avec de la terre glaise. Nous sommes donc bien en présence du réservoir proprement dit, au "premier étage", dont l'étanchéité était assurée par la terre glaise contenue entre ses doubles murs. L'eau était donc conduite jusqu'a cette hauteur.
Ce fut également la conclusion de Monsieur du Ranquet lorsqu'il pénétra à l'intérieur de la construction, alors en meilleur état de conservation. « On se trouve sur une aire horizontale et unie formée de terre glaise battue dans laquelle croissent malheureusement actuellement quelques chétifs pieds de luzerne. Les murs s'élèvent autour à 2,50 m environ au-dessus et, s'amincissant à leur sommet, ils ne mesurent plus que 50 cm d'épaisseur. Evidemment, nous avions là un bassin. Tous les caractères y sont : force de résistance au poids énorme de l'eau obtenue par le doublement des parois et étanchéité complète procurée par le corroie de terre glaise qui l'enveloppe de toute part ».
S'interrogeant également sur la couverture du bâtiment (indispensable pour empêcher la lumière d'entrer et limiter ainsi le pourrissement de l'eau stagnante), il propose l'hypothèse d'une voûte écroulée depuis.

L'eau
L'eau était obligatoirement acheminée jusqu'au réservoir, donc au "premier étage" (nous considèrerons toujours le monticule basaltique comme "rez-de-chaussée"). La trace de son passage à cette hauteur a été mise malheureusement en évidence par l'écroulement d'une partie du sol intérieur ayant entraîné avec lui la paroi intérieure du double mur formant le coude sud-ouest nord-ouest (côté Issac pour les Saturninois), consécutivement à un travail de sappe effectué à la base de la construction.


Deux conduites encastrées dans
 un mur du château d’eau

Il est ici observé que le sol du réservoir avait dû être lui-même construit sur la base d'une voûte puisque cet écroulement laisse entrevoir un vide entre le rocher-support et la dalle intérieure subsistante.
Ainsi, depuis cet évènement, ont été mises à nu trois conduites autrefois totalement encastrées dans les murs, aujourd'hui ne tenant plus que sur le pan de mur subsistant.
Si l'on considère qu'à cet endroit, un "presqu'angle" existe, la position des conduites est la suivante :
- l'une est horizontale dans le mur sud-ouest,
- les deux autres sont verticales dans le mur nord-ouest.
Si l'on descend de cette hauteur pour se rendre à la base de l'endroit d'où a dû être provoqué l'éboulement, on peut observer le trou pratiqué par le grand-père de Monsieur Molles qui, maçon de son état, avait commencé son projet de démolition totale du château d'eau. Il s'en est heureusement arrêté là.
Mais juste à côté, pas mal endommagé par le même homme, subsiste un couloir en cul-de-sac dont le plafond est percé par des tuyaux. Monsieur du Ranquet l’avait déjà lui-même remarqué : « Si nous faisons le tour de cette construction extérieurement, au sud-ouest, sous sa base, logée dans une anfractuosité du rocher, nous remarquons une niche à la voûte de laquelle sont trois trous occupés encore par des tuyaux en poterie. Evidemment, nous avions là une chambre de distribution. »
Ces tuyaux semblent bien correspondre avec ceux observés au « premier étage ». Il est en tout cas curieux de constater que toutes les conduites actuellement visibles et la supposée chambre de distribution soient toutes opposées au côté d’arrivée de l’eau et pas non plus en face du château-fort qu’elles étaient sensées alimenter.
Un autre quartier du village était-il concerné ? On aurait bien envie de fouiller au pied de cette chambre de distribution pour tenter de retrouver le chemin suivi par les conduites …

Les énigmes d'une construction complexe

Ne connaissant pas de construction semblable au château d’eau de Saint Saturnin, il est difficile pour un non-expert de donner une explication à toutes les particularités architecturales de l’édifice. Ainsi, il y a plus d’un détail intrigant auquel aucune lumière n’a pu être apportée.
C’est le cas des angles et des arcs qui ponctuent les « faces » externes du réservoir : quatre « angles » sont visibles, marqués par un bel appareillage en arkose que l’on aperçoit sous le lierre, à la manière du château fort lui-même. De même un bel arc en arkose semble vouloir soutenir la construction. Peut-être que la seule explication à envisager est celle de la « tendresse » de la pierre, qui, permettant une taille plus facile, a été préférée.
Il y a aussi une cabane, a priori un simple abri de jardin, qui s’adosse au château d’eau à sa base. L’intérieur pourtant déroute : il est crépi avec un enduit bien régulier et fin, et il y a comme des arrivées d’eau, la question est à approfondir...
Enfin, Monsieur Molles nous montre quelque chose qui était passé inaperçu (encore ce fichu lierre !) : un trou encadré d’arkose parfaitement taillée situé sur la façade côté chemin. Gamin, il s’amusait à s’y glisser, puis à monter jusqu’au sommet du château d’eau en suivant le petit chemin en pente qui en part. Ni une, ni deux, on tente l’expérience. L’entrée est suffisante pour nous laisser passer (mais pas plus), et il y a toujours un passage, d’abord caché sous le mur d’enceinte (un mètre environ), puis le raidillon qui continu à l’air libre permet d’atteindre le haut du mur. Mais là, le mystère reste total : quel rôle attribuer à cette espèce de « gouttière » ?

On peut aussi rappeler les énigmes tout à l’heure évoquées :
- Quel accès pour l’homme à cette construction ?
- Quel accès et quelle sortie pour l’eau provenant de Sazeirat ?
- Quel rôle pour chacune des conduites trouvées ?
- Quelle couverture pour la construction ?

L’AQUEDUC

Finalement, plus que le château d’eau lui-même, c’est la légende de l’aqueduc qui fait le plus rêver dans la complexe installation qui nous intéresse. Mais c’est elle également qui donne le plus de matière aux sceptiques.
Tentons de faire un bilan : que nous disent les habitants de Saint Saturnin lorsqu’on leur demande ce qu’était exactement cet aqueduc, et quels sont les arguments des sceptiques pour leur faire conclure qu’il ne peut s’agir là que d’une légende.

Ce que dit la tradition orale

Monsieur Henri du Ranquet, dans ses notes déjà citées infra, reprend cette tradition orale : « De l’autre côté du ravin, sur la rive droite de la Monne, dans une prairie haute située à mi côte sur les pentes du puy de Peroneyre, existe une source presque perdue aujourd'hui, mais qui, à ce moment-là, vu les travaux que l’on fit alors pour l’amener, devait être d’une certaine importance. C’est cette source que les seigneurs de Saint Saturnin résolurent de conduite à leur château.
Elle était à proximité de Saint Saturnin et son niveau permettait de l’y mener facilement. Entre elle et la forteresse, il y avait bien le ravin profond dans lequel grondait la Monne. Mais qu’était cet obstacle auprès de la puissance des Hauts Seigneurs du lieu ? Ce ravin de 60 à 80 pieds de profondeur et de plus de 100 mètres de large, on le franchirait. Les Romains n’avaient-ils pas construit des aqueducs pour faire passer des vallées aux eaux qu’ils conduisaient à Arles, à Nîmes ou à Lyon ? Pourquoi eux, seigneurs de Saint Saturnin, de Saint Amant, de Montredon, de Chanonat, de Tauves, de Montpeyroux et autres lieux ne feraient-ils pas de même ? C’est ainsi du moins que durent penser ces hauts et puissants seigneurs.
Ils voulaient cette eau qui était chez eux et ils n’hésitèrent pas à imiter les vainqueurs du monde. Sur ce ravin ils lancèrent un aqueduc hardi qui, de niveau, conduisit les eaux de la source des flancs de Perroneyre sur la coulée basaltique de Saint Saturnin.
De cet aqueduc, nous n’avons plus que le souvenir. Le temps, la main des hommes, une force majeure, une cause on ne sait laquelle, l’ont fait disparaître depuis longtemps, mais son existence est incontestable par le procès-verbal d’une assemblée tenue par les habitants de Saint Saturnin en 1773 (texte introuvable) et où il en est fait mention ».
On raconte que la disparition de l’aqueduc n’est pas surprenante puis qu'il aurait été fait de bois, des troncs d’arbres évidés qui se seraient bien naturellement totalement dégradés. Il n’en serait donc resté pendant un temps que les quelques piles de pierres qui en soutenaient les piliers. Cependant, comme tout tas de pierres, ils auraient servi de carrière aux villageois, disparaissant ainsi à leur tour.
Monsieur Bouillet (Erudit clermontois de la fin du XIXème) affirme en voir encore les vestiges, se gardant bien cependant de les décrire, de telle sorte que le mystère reste complet (in Département de Puy de Dôme, 1874).

Distances et problèmes

La foi de Monsieur du Ranquet dans la puissance des Seigneurs de Saint Saturnin semble être à modérer au vu du fameux ravin : comment appuyer un aqueduc sur ses flancs qui ne cessent de s’ébouler et lui faire franchir une telle distance à une telle hauteur ?

LE CHATEAU-FORT

Deux questions se posent à son sujet : peut-on y trouver la trace de la citerne en principe antérieure au château d’eau, et peut-on y trouver des témoins de l’utilisation de l’eau de Sazeirat ?.

La recherche d'une citerne

On ne connaît malheureusement aucune citerne au château de Saint Saturnin.
Ses précédents occupants, lorsqu’ils avaient fouillé l’intégralité de sa cour intérieure, n’avaient découvert que la pièce enterrée de la grosse tour de défense arasée. Toutes les pièces du bâtiment sont aujourd’hui connues, exception faite d’une seule : la pièce enterrée de la tour aux mâchicoulis dont une fenêtre est encore visible. La citerne s’y trouve peut-être….
Une petite pièce située dans la cave intrigue pourtant : une entrée à une hauteur d’environ 1 m 20 du sol, puis un court couloir (environ 2 m) permet d’atteindre cette excavation ouverte sur son flanc, très étroite. Y voir une citerne semble être à exclure, car son revêtement ne semble pas adapté, et il n’y a aucune trace d’ouverture dans sa voûte qui aurait permis d’en extraire l’eau.

La découverte de conduites

Les trois fragments font désormais parties de la visite du château.

Il ne s’agit que de fragments, mais ils sont suffisamment éloquents

.

Leur intérieur est vernissé, de couleur marron. L’extérieur est en céramique brute rose. Les conduites s’emboîtaient les unes dans les autres, disposant d’une extrémité enflée, d’une autre plus étroite et d’un cran de blocage. L’étanchéité de la jonction de deux conduites était assurée :
- d’une part l’extrémité de la conduite qui s’emboîtait dans la partie évasée de l’autre était « enturbannée » de chanvre (ersatz de nos joints de caoutchouc) ;
- d’autre part le bourrelet de cette même extrémité était définitivement fixé à l’autre par du mortier.


Fragments de conduites trouvés dans
le parc du château

Leur découverte en plein milieu du parc du château, dans l’alignement du château d’eau, semble par ailleurs indiquer que leur trajectoire était en ligne droite.

Elle devient cependant problématique quand on envisage de les faire arriver jusqu’au château : l’obstacle des douves ne semble guère surmontable.


CONFIRMATIONS ET DEMENTIS

L'idéal, pour mettre un terme à toute hésitation au sujet de l'utilisation du château d'eau de Saint Saturnin, et clouer définitivement le bec aux sceptiques, était de trouver des textes aussi anciens que possible relatant sa fonction au sein du village.
De surcroît la chance a voulu que la Commune nous aide en décidant la réfection de la Place de l’Ormeau, ouvrant à notre lecture les passionnants dessous du macadam.
Enfin il nous a été permis d’aller un peu plus loin et de fouiller à Sazeirat.
 


DEUX DECOUVERTES DETERMINANTES

Une visite aux Archives Départementales était indispensable, car il s’agissait de ne pas laisser passer la chance de trouver un texte racontant au moins une partie de la formidable histoire de l’aqueduc « fantôme » de Saint Saturnin, d’autant que deux pistes se proposaient :
- une référence au bas des pages consacrées par Agnès Guillaumont à la fontaine de Saint Saturnin, délibération du 14 janvier 1696 contenant un accord avec le comte de Broglie, pour la conduite d'une source appelée Sazeirat.
- Monsieur Manry, dans son "Histoire des Communes du Puy-de-Dôme", qui cite "la construction d'un pont de bois sur la Monne grâce à la générosité du Marquis de Broglie en 1748".
Cette recherche a suffi à apporter la preuve si attendue.

Une délibération datée de1696

A la référence C. 2700 dans les répertoires des Archives Départementales du Puy de Dôme, on retrouve l’intitulé précité : délibération du 14 janvier 1696 contenant un accord avec le comte de Broglie, pour la conduite d'une source appelée Sazeirat jusque dans le château et la place de Saint Saturnin, et pour la construction d’un pont en bois sur la Monne.
Son contenu fait honneur à son intitulé :
« Aujourd’hui 14 janvier 1696 a été faite assemblée générale des habitants de Saturnin convoqués à la manière accoutumée au son de la grande cloche à laquelle ont assisté effectivement Antoine Villot…, Mr François Verdier, Mr Gaspard Verdier bourgeois, Mr Louis…, Mr Jacques Gougaud…, Jacques Cellier Courtier, Sébastien Cellier, … Cellier, Jean Cellier, Jean Roux, Mme Blaise Vatail, Jean Taupier, François Cellier, …Jean Mangaud (…)
Faisant la majeure partie des habitants de ladite paroisse de Saint Saturnin auxquels a été remontré par MM Jean Villot bourgeois et Jean Rouchon aussi bourgeois dudit Saint Saturnin que Monseigneur le Comte de Broglie étant dans son château audit Saint Saturnin, les a mandé venir et leur a dit et fait entendre…

…dudit Saint Saturnin et de donner quelque partie suffisant aux habitants pour une fontaine qu’il prétend faire construire dans la place duquel Saint Saturnin sous le bon plaisir le Monsieur Monseigneur vu la nécessité qu’ont lesquels habitants tant pour eux personnellement leurs bestiaux que pour éviter les incendies qui pourraient arriver dans ledit lieu de Saint Saturnin et attendu la nécessité qu’il y a de faire un pont de bois (…) sur la rivière de la Monne pour le service des habitants pour aller cultiver leurs terres et pour le passage des eaux de ladite fontaine.(1)
Monsieur Monseigneur a offert de fournir tout le bois nécessaire tant pour la construction dudit pont que pour faire les tuyaux pour conduire les eaux de ladite fontaine lequel bois Monseigneur fera conduire dans son château pour y être ouvragé prêt à poser lequel lesdits habitants s’obligent de faire conduire aux lieux nécessaires à condition que lesquels habitants fournissent tout le surplus de la dépense pour ladite conduite.

Soit manœuvre, chaux, sable, parement, plomb et autres matériaux nécessaires et pour couvrir la dépense… (2).
Devant Monsieur le […], requérant lesdits sieurs Villot et Rouchon… délibération de l’assemblée lesquels habitants après avoir mûrement considéré la nécessité qu’ils ont d’un pont pour le service des terres qu’ils ont au-delà de l’eau de la Monne et qu’il faut faire une fontaine à la place dudit Saint Saturnin vu l'éloignement des autres fontaines donneront pouvoir et charge auxquels sieurs Villot et Rouchon bourgeois de supplier Monseigneur de leur accorder ladite fontaine et de fournir suivant lesdites propositions les bois et tuyaux nécessaires pour la conduite de ladite source et fontaine soit dans son château et que celle-ci qui sera conduite à la place de Saint Saturnin… (3)
(suit toute une explication du coût)
…et quant aux réparations qu’il conviendra de faire pour l’entretien pour les fuites desdites fontaines lesquels habitants s’obligent de les faire pour moitié avec Monsieur seigneur jusqu’au réservoir au tout […] et du réservoir aux fontaines qui seront dans les places.
Lesdits habitants s’obligent de faire les réparations à leurs frais et dépend et comme tel est nécessaire qu’un homme puisse veiller au travail et donne les soins pour l’avancement dudit ouvrage lesdits habitants ont nommé le sieur Limoulie auquel tel ont accordé pour les peines la somme de 75 livres pour tous les soins qu’il donnera pendant tout le temps de la construction de ladite fontaine
Laquelle somme de 75 livres sera déduite sur celle de 275 que la […] doit à ladite commune, au cas qu’il soit nécessaire de poser les tuyaux de la fontaine dans les terres et héritages d’aucun particulier habitant de ladite paroisse.
Il sera loisible de faire ce … à moindre dommage que faire le pourra ce qui a té accordé par les habitants ci présents.
A aussi délibéré que les consuls de l’année présente seront tenus de faire la manœuvre à tous les habitants de ladite paroisse chacun à son tour et tel nombre que requis sera aux fins susdite »

COMMENTAIRES DU TEXTE DE 1696

(1)Un itinéraire inattendu

Il s’agit donc ici, non seulement d’amener l’eau jusque dans la demeure seigneuriale, mais aussi sur la place du village. Et de cet itinéraire, il n’en avait jamais été question dans la tradition orale.
On pourrait se poser la question de savoir de quelle place il s’agit, mais la manière dont elle est désignée ne laisse a priori pas de doute : c’est « la place » du village ancien, l’actuelle place de l’Ormeau.
On peut noter l’ambivalence du terme « fontaine », qui est à la fois utilisé pour désigner la source et la fontaine proprement dite. Mais lorsqu’il s’agit de la source, à chaque fois son nom est précisé « Sazeirat ». On ne connaît d’ailleurs pas aujourd’hui d’autres fontaines contemporaines ou plus ancienne que celle de la place de l’Ormeau. A ce sujet une autre question se pose : il est expressément dit dans ce texte qu’ils comptent la « construire ». Il ne semble pas que l’hypothèse de la construction d’une nouvelle fontaine à cette époque soit à retenir. Tout semble se baser sur du préexistant.
Notre fontaine donc, n’étant plus alimentée du fait de la rupture du pont en contrebas, était hors d’état de fonctionnement, sans doute alors avait-elle subi des détériorations, comme la perte de son étanchéité par exemple ou tout simplement suite à un manque d’entretien prolongé.
En tout cas voici la preuve irréfutable du fonctionnement effectif du système décrit, et qui se révèle de surcroît encore plus complexe et important pour le village puisqu’on apprend qu’il alimentait sa place principale.
On peut noter ici que la présence d’une fontaine sur la place du village est souhaitée « étant donné l’éloignement des autres fontaines ». L’inventaire dressé au début de cette étude se trouve donc confirmé : il n’y avait aucun autre moyen de desservir le cœur du village.

(2)La matière des conduites d’alimentation

Tantôt une phrase les confond avec la mention qui est faite du bois nécessaire, tantôt les deux sont distinguées. Les conduites étaient-elles de bois ? En tout cas il n’est nullement fait mention de conduites en céramique.
(3) Le siphon et sa technique

La construction d’un pont est indispensable sur la Monne pour permettre aux cultivateurs saturninois de gagner leurs terres qui se trouvent au-delà de cette rivière, sur les flancs du Puy de Peyronère, mais aussi pour servir de passage à l’eau de la source de Sazeirat !
Voici enfin le mystérieux aqueduc, beaucoup moins impressionnant qu’on le croyait : c’est l’ensemble complexe de canalisations passant sur le pont de la Fridière et menant l’eau, grâce la pression générée par la différence d’altitude entre la source et son point d’arrivée, jusqu’au château d’eau.
Le château d’eau, lui-même élevé, permettait à l’eau de couler vers la fontaine de la Place de l’Ormeau.

Le principe du siphon (expliqué dans la fiche supplément du n°343 de la revue Ar-chéologia), déjà très utilisé par les Romains, n’est en fait rien d’autre que l’application de la loi des vases communicants, qui veut qu’un liquide en équilibre atteigne le même niveau dans deux récipients reliés par une tubulure inférieure. Ce principe était autrefois communément, bien qu’implicitement, appliqué pour la distribution de l’eau dans les villes par des tuyaux de plomb sous pression partant de réservoirs hauts placés. Mais ce sont seulement les réalisations à grande échelle que l’on désigne sous le nom de siphon, ou, si l’on veut préciser « siphon inversé » pour le distinguer du « siphon moderne » dont le coude est plus haut que les extrémités.
Un siphon est donc constitué, d’un réservoir de chasse, au départ (ici il devait se trouver près de la source), et d’un réservoir de fuite, à l’arrivée (c’est le château d’eau en l’occurrence), reliés par des tuyaux sous pression.
Le plus souvent un pont-siphon porte les tuyaux au fond de la vallée. Sa fonction est triple :
- il traverse le cours d’eau,
- il diminue la pression proportionnellement à sa hauteur,
- et atténue les angles et les poussées à ses extrémités.
La différence de niveau entre le réservoir de chasse et le point bas du tablier du pont est la flèche du siphon. Elle commande la pression de l’eau, qui augmente de 1 bar tous les 10 m. Du fait des frottements, l’eau, qui coule continuellement, ne remonte pas au niveau de son point de départ : il y a perte de charge.
Sur un tracé qui ne laisse pas d’autre choix, la vallée se présentant incontournable au sens propre du terme, est à la fois trop profonde et trop large pour que la construction d’un pont-canal démesuré soit envisageable, la solution est celle d’une conduite forcée : un siphon.
Déjà sous l’Antiquité, Vitruve a évoqué la traversée de vallées étendues avec des tuyaux de plomb descendant directement la pente jusqu’au fond, passant alors sur une substruction de faible hauteur, qu’il appelle « ventre », leur évitant un coude brusque et le risque d’éclatement qui en résulte, et remontant l’autre versant (De l’Architecture, Livre VIII, VI, 5-6).
La mise en œuvre d’une conduite sous pression suppose, de la part des ingénieurs et des constructeurs, une grande expérience, et elle exige une maîtrise technique de haut niveau. Aussi les siphons furent-ils peu nombreux dans le monde antique (il y en a eu six à Lyon, surnommée la capitale du siphon), et certainement moins encore à la fin du Moyen-âge.
Ce n’est qu’à la fin du texte qu’une allusion est faite au château d’eau, puisque l’on parle du « réservoir ». L’hypothèse de sa construction au début du XVIème siècle tient-elle toujours ? Pourquoi pas puisque ce réservoir préexiste en 1696, et l’installation doit être réparée parce qu’elle ne fonctionne plus depuis longtemps. Cela ferait donc déjà presque deux siècles que le siphon fonctionnerait.

LES PROJETS DE L’AN 1738

La Monne a-t-elle encore emporté le pont ? L’ensemble n’a-t-il pas été entretenu ? Toujours est-il que le pont de la Fridière et la source de Sazeirat sont totalement détruits une nouvelle fois.
Après avoir délibéré avec leur seigneur qui est désormais le Marquis de Broglie, les Saturninois adressent une supplique à Monseigneur l’Intendant d’Auvergne afin d’obtenir l’autorisation nécessaire à la réalisation des travaux. Ils bénéficient ensuite d’un devis estimatif établi par un entrepreneur clermontois.

Supplique à Monseigneur l’Intendant d’Auvergne

Elle ne nous donne qu’une seule information vraiment intéressante, c’est la référence, malheureusement très vague, à la dernière destruction du pont de la Fridière.
« Supplient humblement les habitants du lieu de Saint Saturnin, disant la nécessité dans laquelle ils se trouvent de faire rétablir une fontaine et construire en même temps un pont lesquels se trouvent détruits depuis plus de dix années... »

L’ordonnance de l’Intendant d’Auvergne

Date-t-elle de 1733 ? L’avant-dernier chiffre n’est pas lisible. L’accord y est cependant donné, on peut penser qu’il a eu lieu préalablement à l’établissement du devis.
Voici sa consistance :
« Ordonnons que (...) d’un pont sur la partie la plus convenable du ruisseau appelé de la Monne qui est au-dessous du village de Saint Saturnin comme aussi des ouvrages nécessaires pour la conduite des eaux depuis la source qui est au-delà de ladite rivière jusqu’au milieu de la place la plus comode dudit lieu pour y estre construite une fontaine... ».

Devis estimatif de la fontaine et du pont par François Raimbaud

« Aujourd’hui, vingt-cinq septembre mil sept cent trente huit
Nous François Raimbaud, entrepreneur d’ouvrage en la ville de Clermont Ferrand, expert nommé par monsieur Tournadre subdélégué de monseigneur l’intendant tant pour faire visite du pont et de la fontaine de Saint Saturnin que pour en dresser un devis estimatif des réparations urgentes et nécessaires pour leur établissement, ou nous étant transportés sur les lieux contentieux, après avoir fais assembler les consuls en charge et les principaux habitants au son de la cloche, à la manière accoutumée, nous leur avons déclaré que nous allions travailler …nous étant transportés au pont et à la source de la fontaine nous avons remarqué que l’un et l’autre est entièrement détruis et que le tout a besoin de rétablir a neuf, après avoir le tout bien examiné et murement réfléchy nous avons fait le devis qui suit.

Premièrement
Sera fait une tranchée dans les terres depuis la source de la fontaine jusqu’à quarante toizes de l’ancien pons en suivant le même chemin des anciens cannaux de la fontaine ; la partie a deux cent dix toizes de longueur qui sera creusée de quatre pieds en carré

S’il se trouve dans la partie des anciens cannaux qui ne soient pas endommagés ils resserviront (1)
Après que les cannaux auront été posés et bien mastiqués comme il vient d’être expliqué l’on fera une maçonnerie de chaux et sable de six pouces d’épaisseur tout autour pour mieux conserver les cannaux et empêcher le pois de la terre qui sera dessus ne les puisse casser (2) ; ensuitte l’on recomblera toute la tranchée sur les cannaux avec la même terre qui en sera provenue ensuitte sera fait un regard au bous de dix-huit pouces encarré dans lequel regard sera mis une ventouze pour donner de l’air au cannaux afin que la force de l’eau ne les puisse endommager.
Après sera mis au bous de la partie un tuyau de plomb coudée pour faire prendre un autre chemin plus cour que l’ancien (1) a la fontaine ; depuis ce coudde jusqu’au ruisseau ou sera placé le nouveau pons, environs quarante toizes au-dessous de l’ancien sera fais dans la partie qui a cens toizes de longueur une tranchée dans la terre de quatre pieds en carré dans laquelle sera mis des cannaux de terre emboittés les uns dans les autres souddés, maçonnés autour, et recomblés de terre comme il a déjà été fait cy-devant, on observera de faire un regard au bout de la partie de dix-huit pouces en carré dans lequel regard sera mise une soupape à cause de la rapidité de l’eau descendant de la montagne, les tuyaux estant conduits jusqu’au ruisseau on fera le rétablissement du pont qui aura vingt pieds d’ouverture pour le passage de l’eau et douze pieds d’une terre à l’autre pour le passage des voitures, vingt-deux pieds de hauteur au-dessus de la voutte dudit pont, et pour sa construction sera fais fondations décalées, lesdites tranchées auront chacune douze pieds et demy de long trois pieds de profondeur douze pieds de largeur du devant au derrière de la culée.
Après que les tranchées auront été faites comme il vient destre expliqué l’on remplira en maçonnerie lesdites fondations bien deniveau jusques au dessus des basses eaux ; ensuite sera mis deux pièces de bois de chesne de sept pieds par chacun un bout dans les murs de culée, le long desquelles pièces de bois sera battu des pal planches avec un gros maillet pour les faire entrer de trois pieds de profondeur, lesdites palplanches seront arrettées avec des chevilles de fer aux pièces de bois qui prenent dans les deux culées ensuitte sera fait un pan en pierre qui seront posées sur le champs en mortier de chaux et sable pour empêcher que l’eau ne puisse endommager les fondations ny creuser sur ledit pont.
Ensuite sera élevé les murs de culée de chacun vingt deux pieds de hauteur, dix pieds d’aipaisseur et douze pieds de longueur d’une teste à l’autre, en observant de mettre des pierres de taille aux quatre encoignures des quatre cu-lées.
Après que les culées auront été construites, on fera la voutte du pont en plain caintre construite en pierres plates des plus grandes qui sera pourra trouver posées sur les caintres en bain mortier de chaux et sable en observant de faire les deux testes dudit pons en pierres de taille de volvic.
Le pons étant fait comme il viens d’estre expliqué, on fera une chaussée du cotté de bize pour attraper la mon-tagne de Saint Saturnin de huit pouces de pente par toize, le pons et la chaussée étant finie, on continuera les can-naux de la fontaine qui passerons sur le pont et suivrons le long du chemin yront jusques a une place publique devans le château ou sont assis les vestiges de l’ancienne fontaine. La partie depuis le pons jusques à la place publique qui sera creusée de quatre pieds en carré dans le gorgue et dans le rocher pour placer des cannaux de terre qui seront emboités les uns dans les autres souddés avec chanvre fin et bien délayés avec siment et poix rouzine, ensuitte on fera une maçonnerie de neuf pouces au pourtour des cannaux après on recomblera la tranchée avec le même gorgue ou rocher qui en sera provenu, observant de construire un regard de dix-huit pouces en carré dans le milieux de ladite partie, dans lequel regard sera mis une soupape pour servir de ventouse et empêcher que les cannaux ne puissent être endommagés par la force de l’eau.
Après que l’eau aura este conduite au lieu destiné ou doit estre la fontaine
la fontaine sera pavée en pierre de taille qui seront posées en bain dans le mortier de siment ensuitte sera fais les joints aussi en mortier de siment a toutes les pierres autour de la fontaine pour empêcher que l’eau ne puisse s’imbiber autour du bassin.



…la ou il sera fais un bassin de pierre de dix pieds en carré pour recevoir par ces cannaux le trop-plein de la fontaine qui servira pour abreuver les bestiaux du quartier bas de Saint Saturnin et dument fais et fournis par l’entrepreneur le tous sujet a visitation d'expert ou de gens a ce connaissant moyennant le prix et somme de huit mille deux cent cinquante livre a la charge pour l’entrepreneur de faire aller et entretenir ladite fontaine pendant un an a ses frais et depans de tout quoy nous avons dressé le présent procès-verbal pour valoir et servir ce de raison et avons signé lesdits jours et an ».
F. Raimbaux

Commentaire du devis de 1738

(1) L’itinéraire change


L’entrepreneur propose de ne pas construire le nouveau pont à l’emplacement de l’ancien, mais plus loin, à 40 toizes, c’est-à-dire 78 mètres, et sans doute en contrebas par rapport à l’ancien puisque le trajet des canalisations va être modifié. Il suivra cependant, à partir de la source et sur une certaine distance, le chemin d’origine des conduites, si bien que les anciennes conduites non endommagées seront conservées.
Au bout de 410 mètres (210 toises), à l’aide d’un tuyau de plomb coudé, il fera prendre un « autre chemin plus court que l’ancien » pour arriver directement à la fontaine de la place de l’Ormeau. Désormais le château d’eau ne servira plus et les habitants du Château fort (ses seigneurs n’y viennent plus), devront comme les villageois aller se servir à la fontaine.

Le château d’eau aura donc servi pendant plus de deux siècles, au gré des crues de la Monne, pour finalement être abandonné pour plus de facilité.
Le pont de cette époque était-il à l’emplacement de l’actuel pont de la Fridière ? Si tel n’est pas le cas, ce qui est vraisemblable puisqu’il date de 1846, il ne devait pas en être loin. En effet, le « plus court chemin » s’efforçait sans doute de suivre autant que possible une ligne droite entre la source et la fontaine, et le pont actuel se trouve dans cet alignement.
Mais ensuite, une fois le pont franchi, par où donc passait l’eau ? On peut là encore s’imaginer que la logique lui aura fait suivre le chemin passant encore aujourd’hui sous le château fort, ou bien plus directement à travers bois, vignes ou jardins d’autrefois.

(2) Conduites et constructions

L’explication minutieuse et détaillée qui est donnée de la forme des conduites (elles « s’emboîtent » les unes dans les autres), leur joint de chanvre, la maçonnerie qui est faite autour d’elles correspondent tout à fait à ce qui a pu être observé sur le terrain (cf. infra). La conservation d’anciennes conduites et l’installation de nouvelles explique peut-être la variété des couleurs des conduites découvertes.
Il est tenu compte de la pression exercée par l’eau sur les conduites puisqu’elles seront enchâssées dans une forte maçonnerie creusée « en carré » avant de se trouver recouvertes de terre. Par ailleurs, de place en place sont pratiqués des regards et des ventouses (orifices de prise d’air d’un conduit), afin de relâcher un peu du trop-plein de pression.
Enfin le siphon en est réduit à sa plus simple expression : l’eau de source arrive directement à la fontaine qui devient à cette occasion le « réservoir de fuite », dont le trop-plein se déversera en contrebas, le village s’étant développé, dans un bassin destiné à abreuver les animaux.

Un peu de vocabulaire …

Une toise vaut 1,949 mètres.
Un pied vaut 12 pouces soit 32,48 centimètres.
Un pouce vaut 2,707 centimètres.
La culée d’un pont est l’appui d’extrémité d’un pont, un mur de front et des latéraux dits « en ailes » ou « en retour » suivant leur implantation.

BILAN

La découverte de ces textes a été une véritable chance et a permis de rectifier l’idée que l’on se faisait de l’aqueduc de Saint Saturnin et confirmer son existence de manière irréfutable. Un point reste encore à éclaircir : la datation. A partir de quand le siphon a-t-il été utilisé et le château d’eau construit ? Fait-on alors appel à des ingénieurs spécialisés ou bien ce type d’installation est-il chose courante en Auvergne ou en France à cette époque ?
Le fait est que la date de la fin de service du château d’eau nous est donnée : dès le début du XVIIIème siècle, il est abandonné.

LES TRAVAUX DE LA PLACE DE L’ORMEAU

La place de l’Ormeau est celle où siège la fameuse fontaine due à la famille de La Tour d’Auvergne. Durant l’hiver 1996-1997, elle s’est vue transformée en un véritable « champ de tir », duquel on pouvait espérer obtenir quelques vestiges de conduites d’eau venant corroborer les dits des textes de 1696 et 1738.
De tranchée en tranchée, nos attentes ont fini par être totalement comblées.

Une tranchée pour l’électricité

Le 6 novembre 1996, une tranchée est réalisée le long de la maison de Monsieur Cellier (où se trouve l’ours en buis) jusque devant la fontaine. La nuit étant tombée lorsque nous avons pu nous y rendre, aidés par la lueur d’une petite lampe électrique, nous n’avons pas été déçus par notre expédition nocturne.
La plus étonnante de nos découvertes fut sans aucun doute une pierre rectangulaire dont la partie centrale avait été creusée en une forme trilobée. Encore en place, elle ouvrait sur un conduit construit de pierres et de mortier qui s’en allait suivant l’axe fontaine-chemin sous le château. Monsieur Cellier en a donné une explication qui semble très probable : ce conduit devait mener l’eau du trop-plein de la fontaine jusqu’à la citerne dont il connaît l’existence dans la direction justement prise par le conduit.
Jouxtant sa paroi gauche, une conduite a été fracassée, elle continue en face, sur l’autre flanc de la tranchée, en direction de la fontaine. Il semble que la cause de sa destruction ait été l’aménagement du conduit dont nous venons de parler. Ces morceaux ont cependant quelque chose de merveilleux : un intérieur vernissé et surtout, à l’intérieur, une pellicule de calcaire de quelques millimètres d’épaisseur !
Aucun doute n’est donc plus permis, l’eau de Sazeirat est bien arrivée un jour jusqu’à la fontaine ! D’où pro-venait-elle ? Du château d’eau ou de la source directement ? Impossible de le déterminer à l’aide de ces seuls fragments.

Une tranchée pour le tout-à-l’égout

Le 22 février 1997, une nouvelle tranchée est faite entre la fontaine et le chemin longeant le ravin de la Monne.
L’envoyé spécial de ce jour, Grégoire Guillaumont, très vite rejoint par Monsieur Bernard Cellier, va y mettre son nez, et observe des choses qui deviendront claires par la suite : « un mur coupé partant en direction du château, d’environ 80 centimètres de large, coupé sur un mètre de profondeur, mais qui est plus profond car au sol on voit de la chaux. (…) En direction de la fontaine, sur la gauche, dans un gros tas de cailloux, on a trouvé un morceau de conduite en terre grossière vernissée marron avec calcaire à l’intérieur (c’est une extrémité), de l’autre côté, autre morceau de conduite dans un gros tas de cailloux liés à la chaux. Les conduites sont à environ 30cm sous le niveau actuel de la place ».

Le coup de théâtre

Surveillés quasiment au jour le jour, les travaux de dégagement de la place ne nous apprennent rien de plus, les découvertes semblent être terminées. Les irrégularités de la terre sont aplanies, tout est prêt pour le re-goudronnage, et .
Lundi 2 mars 1997, coup de téléphone de Monsieur Cellier : de nouveaux trous ont été faits sur la place, et des conduites sont apparues

Ni une, ni deux, nous voilà.
Devant le portail du château, sur la partie gauche, la pelleteuse a carrément sorti un bloc rectangulaire de pierres liées entre elles par du mortier, enserrant une conduite en céramique. Elles ont exactement la même forme que celles signalées au réservoir et au château !


Ce bloc de pierres liées par du mortier enserre une conduite


Ultime vérification : il y a bien une pellicule de calcaire sur leur paroi interne. Leur couleur varie : il y en a des vert-bouteille, des jaune-beige, des marron-rouille. Au niveau des deux parties s’emboîtant, de la terre glaise rouge a été appliquée comme renfort d’étanchéité, et pour qu’elles restent en place, l’intérieur des extrémités a été strié.
La section des blocs de pierres agglomérées entourant les conduites mesure 74 cm de largeur et 30 cm de hauteur. Ce sont là les mêmes mensurations que celles de cet étrange mur découvert dans la tranchée précédente ! On retrouve ici le procédé décrit par le sieur Raimbaud dans son devis en 1738 : les conduites avaient été installées au milieu d’un appareillage de pierres liées par de la chaux dans un trou fait en carré.

La preuve est cette fois-ci certaine : l’eau, captée à Sazeirat, était conduite au château d’eau, traversait le parc, puis la cour intérieure du château fort pour aboutir à la fontaine.


La voûte de Sazeirat dégagée
 

LES VESTIGES DE SAZEIRAT


Forts de toutes ces découvertes au village de Saint Saturnin, il nous brûlait de savoir ce que pouvait bien abriter la construction voûtée à moitié enterrée située sur le terrain d’émergence de la source de Sazeirat. Cet édifice avait certainement un lien avec le captage de la source : on pouvait penser qu’il abritait un bassin, de décantation ou permettant la formation de la pression nécessaire à sa conduite par siphon…
De là est partie l’idée de demander l’autorisation de procéder à des fouilles archéologiques…
Le terrain concerné appartient à Monsieur Michel Aubry, qui a eu la gentillesse de tout de suite accepter notre projet et de nous débroussailler immédiatement toute la zone en cause.


Fouilleurs à l’intérieur de la structure

Suite à cette première autorisation, Madame Fizellier-Sauget, ingénieur de recherche à la Direction Régionale des Affaires Culturelles d’Auvergne (DRAC) nous a indiqué qu’entreprendre des fouilles ne serait possible qu’avec la supervision d’un responsable agréé par la DRAC. Elle-même accepta de demander une autorisation de fouilles en son nom.
La voûte de Sazeirat dégagée
Monsieur Leguet, vice-président de l’Association du Site de Gergovie (ASG), est également responsable du Service Educatif d’Archéologie du Puy de Dôme. Il voulut bien s’investir dans ce chantier de fouilles en tant que responsable et plusieurs membres de l’ASG acceptèrent de participer à l’opération pour les deux jours prévus, qui durent être rallongés…

Ainsi fin août 1997, un périmètre de fouilles commença à se dégager autour de la voûte émergeant à Sazeirat.

LA REMISE A NIVEAU

Le plus gros travail est la « remise à niveau » qui consiste à enlever la terre qui s’était accumulée au fil du temps, et de retrouver le sol d’origine. Très rapidement on retrouve la base du mur de façade fermant la construction, dans lequel devait être aménagée une ouverture pour entrer à l’intérieur, le reste de la construction étant enfoui dans la pente naturelle du terrain.
Restait donc à dégager l’intérieur de la construction et à découvrir ce que protégeait cette voûte. Le décapage, toujours fait par couches horizontales régulières afin de pouvoir observer les apports successifs en remblais, nous fait apparaître un muret suivant la forme rectangulaire de la structure : on songe au pourtour d’un bassin. Suit donc la phase de décaissement, des remblais l’ayant totalement comblé. Il s’agit a priori d’un remplissage volontaire avec des pierres qui de-vaient gêner dans le terrain, ou prove-nant du mur de façade effondré.
Et finalement, c’est bien un bassin qui apparaît, parfaitement bien conservé par un comblement sans doute rapide…
 
UN BASSIN

Ce bassin est une construction habile, dont l’étanchéité était parfaitement assurée, mais révélant curieusement deux conduites de départ, et laissant encore un gros point d’interrogation sur l’arrivée de l’eau.

Une étanchéité assurée

Les murs du bassin doublent ceux de la construction le protégeant, mais entre eux, un espace d’environ 50 cm a été comblé, à la manière de la double paroi du château d’eau, d’une terre glaise dense et marron.
Par ailleurs leur paroi interne est recouverte d’un enduit rose. Les fragments retrouvés dans les déblais du bassin semblent indiquer que le bassin ne devait guère être plus haut, mais que sa margelle en était recouverte également.
Le sol est fait de belles dalles en pierres de Volvic, et le joint entre elles est également assuré par de la fine terre argileuse.

Deux conduites

Le bassin
A l’intérieur du bassin, dans la partie de son muret s’appuyant sur le mur de façade de la structure, nous nous étonnons de trouver l’emplacement de deux conduites et non d’une seule comme on le prévoyait. On attendait des conduites en céramiques, comme celles observées précédemment à Saint Saturnin, mais rien de tel en fait …


Le bassin

I
Le sol du bassin et les départs de deux conduites

Il y a une petite marche rectangulaire en volvic presqu’au centre de la base de cette paroi, et de chaque côté deux trous parfaitement ronds dans le mur de façade, se prolongeant dans le bassin par les emplacements encore arrondis correspondants, et se terminant chacun par un grand cercle de fer. L’un est brisé, l’autre encore entier. Il s’agit là à l’évidence des emplacements d’anciennes conduites en bois (nous retrouvons des « miettes » de bois à leur emplacement), dont l’extrémité aboutissant dans le bassin était renforcée par un cerclage en fer. Leur étanchéité était assurée au-dessous par de la glaise blanche et la « marche » centrale soutenait le bois contre la force de l’eau. Elles avaient certainement été enduites de la même manière que les parois du bassin pour finir de les stabiliser.
Un élément vient renforcer la thèse de l’emploi du bois pour ces conduites : dans le remplissage du bassin ont été trouvés des fragments de gangues intérieures de calcaires, incurvées selon le diamètre indiqué par le trou du mur du bassin. On peut de plus deviner, sur leur face extérieure, les striures du bois des conduites.
   

L’arrivée d’eau

Le moyen utilisé pour faire arriver l’eau jusque dans le bassin n’a pu être découvert. Pourtant il y a, dans le mur du fond de la voûte une niche dont le pourtour est parfaitement délimité par des pierres appareillées. Aujourd’hui niche du fait d’éboulements, elle devait en fait être à l’origine le point d’arrivée d’un tunnel menant l’eau captée en amont.
La tentative de dégagement du prétendu tunnel ne nous livre guère de renseignements : il y a eu un éboulement récent et des pierres de la surface sont venues tout combler. Par ailleurs, l’écoulement de la source a dû continuer un temps après son abandon et le calcaire qu’elle a déposé a fini de tout agglomérer.
Autre question : comment faisait-on franchir à l’eau la distance niche-bassin ? La réponse doit certainement se trouver dans une construction en matériaux périssables dont il ne reste aucune trace aujourd’hui, car la paroi du bassin en contrebas est parfaitement lisse, sans aucune trace d’arrivée d’eau.



Au fond de la voûte, « la niche »

Cependant, dans les montants de la « niche », une pierre intrigue : elle est percée d’un trou parfaitement rond de 16 cm de diamètre, qui lui-même est percé verticalement à l’intérieur, sans que l’on puisse parvenir à en toucher le fond. Quel était son rôle ? Tout laisse à penser qu’il a bien été mis à dessein dans la construction ; serait-ce l’emplacement destiné à l’éclairage de la pièce ?

LA FAÇADE

Les traces de conduites en bois découvertes à l’intérieur du bassin étaient bien plus basses que le sondage effectué précédemment à l’extérieur, le long du mur de façade. Nous continuons donc à dégager ce mur de façade pour retrouver les conduites à leur sortie du bassin.

Une partie enterrée

Les conduites sortantes devaient être enterrées à l’époque de leur utilisation pour une meilleure protection. Cela nous est confirmé par la découverte d’un amoncellement de pierres avec peu de terre entre elles avant de parvenir au niveau voulu, et parmi lesquelles on continue à trouver des tessons de céramiques.
Très vite, nous repérons l’emplacement des deux conduites : il y a un bâti central, et de chaque côté de ce dernier, on rencontre une fine couche de terre glaise de couleur claire. Sous le mur de façade, nous retrouvons un cerclage de fer destiné à la conduite de gauche et des petits cailloux sans doute là pour la caler avec précision.
Chose étonnante, on ne retrouve pas de cerclage à droite, alors qu’à l’évidence, il y a bien une sortie pour la conduite observée à l’intérieur du bassin. Seule une pierre plate et quelques autres semblent vouloir former un conduit sommaire.

Et la suite ?

En y regardant de plus près, le cerclage de fer de gauche est double : la conduite observée à l’intérieur du bassin, d’un grand diamètre (15-16 cm), recevait sans doute une autre d’un plus petit diamètre (12-13 cm) qui s’emboîtait dedans (une « réduction »).
A partir de cette trouvaille, nous nous demandons s’il ne serait pas possible de retrouver le cerclage de la conduite suivante, un peu plus bas. Pour estimer la distance, nous mesurons celle entre le cerclage du bassin et le cerclage double : 1 m 20. Nous reportons la mesure au-delà des deux cerclages emboîtés.
Nous avons remarqué, dans l’alignement des deux derniers cerclages, un trou parfaitement rond :


Le dernier cerclage trouvé dans l’empreinte des conduites

l’empreinte laissée par la conduite en bois qui en partait. Cela se vérifie puisqu’en glissant la main à l’intérieur, elle rencontre un nouveau cerclage ! La terre n’avait donc pas été remuée à cet endroit depuis l’époque où l’installation fonctionnait. Il est exactement à 1 m 20 des précédents.
Une fois dégagé, ce cerclage a le même diamètre que le plus petit des deux derniers, mais il est seul : il n’y a pas de trace d’une autre conduite. Le système ne se perpétue donc pas. On ignore comment l’eau pouvait continuer son trajet, mais tout semble indiquer que c’était cette conduite qui allait ensuite rejoindre le château d’eau…
A droite, la sortie de la conduite ne nous en apprend pas d’avantage : il s’agit d’un conduit construit avec des pierres à peine dégrossies et dont le trajet semble être parallèle à celui de gauche. La seule explication que nous ayons pu trouver à son sujet est celle d’une vidange du bassin. A ce moment-là en effet, peu importait que la conduite fût étanche ou non.
 

BILAN

Le bilan de ces fouilles se traduit par :
Des chiffres.

Maintenant que le bassin nous est connu et que nous avons pu le mesurer sous toutes les coutures, les « matheux » de notre équipe ont pu se livrer à quelques calculs.
Ainsi, en prenant à chaque fois la capacité maximale du château d’eau, des canalisations et du réservoir de chasse (notre bassin), on peut appliquer la théorie du siphon et se rendre compte que :
le château d’eau étant à une altitude approximative de 530 m, d’une contenance d’environ 491 800 litres (si on considère que le niveau de l’eau montait jusqu’à 2,10 m dedans), son temps de remplissage avec le débit calculé de la source aurait été d’à peu près 5,7 heures ;
Le dernier cerclage trouvé
dans l’empreinte des conduites
le réservoir de chasse étant à une altitude approximative de 590 m, et d’une contenance d’environ 1 800 litres, le débit de la source au niveau de la canalisation de départ aurait été de 24 litres/secondes (bon débit !), si bien qu’en une journée la source aurait fourni 2 068 m3 et que la poussée au niveau du pont de la Fridière aurait été de 118 tonnes/m2, soit 11,8 kg/m2.

Des questions

- Peut-être un progrès dans la datation des constructions.
En effet la similitude d’architecture entre la voûte et le château d’eau (mortier, doubles parois remplies de terre), laisse à penser que les deux pourraient être effectivement contemporains. L’apparition de la fontaine étant liée à celle du château d’eau, il ne semble pas trop hasardeux de les situer tous trois au début du XVIème siècle.
- Des questions supplémentaires sur la manière dont l’eau pouvait être conduite jusqu’au château d’eau : pourquoi trouve-t-on au bassin des conduites en bois alors que partout ailleurs elles sont en céramique ?
- Tout le trajet de la source en amont du bassin reste dans l’ombre : où la source était-elle captée, comment était-elle menée jusqu’au sarcophage qui longtemps a servi d’abreuvoir, ensuite conduite jusqu’au bassin ?
Enfin, on voudrait fouiller encore un peu au-dessus, un peu au-dessous…

Et puis il y a aussi cette autre cabane, juste à côté de la voûte, tellement souvent gorgée d’eau, qu’elle a sûrement de belles choses à raconter sur l’histoire de la source de Sazeirat. On est tenté de penser a priori que sa construction pourrait bien être liée à l’abandon de la structure en voûte. Oui, mais alors, quand donc ?


LA DERNIERE CHANCE DE LA SOURCE DE SAZEIRAT

Une visite supplémentaire aux Archives Départementales a suffi à apporter des informations tout à fait inattendues. Une délibération du Conseil Municipal datée du 28 octobre 1853 indique qu’il faudra procéder au remboursement de Monsieur Villot, lequel avait avancé la somme nécessaire à la construction d’un pont sur la Monne à la Fridière, le pont de bois le précédant ayant été enlevé par la rivière, « considérant aussi que pour la conduite des eaux nécessaires à l’établissement des fontaines à Saint Saturnin, elle utilisera encore ce pont ».
Surprise, le pont datant de 1846, encore debout aujourd’hui, a lui-même été prévu pour le passage de l’eau de Sazeirat que l’on envisageait d’amener encore au village
En 1854, le maire, Monsieur Cho-mette, veut faire construire des ponts à Saint Saturnin et y ramener l’eau. Il y a un problème avec Monsieur Villot qui habite Saint Amant et qui ne veut pas que les conduites « en tôle bitumée » passent sur son terrain, sachant que « les tuyaux de la conduite des eaux à l’établissement des fontaines doivent passer sur un pont placé sur la rivière Monne au terroir de la Fridière ».
Et suivent les différents devis relatant les différents travaux nécessaires (dans l’ordre) :
- fouilles dans le pré de Monsieur Mège pour recueillir l’eau,
- château d’eau au départ A,
- vidange,
- 1ere partie de conduite,
- 2ème partie de conduite,
- 3ème partie de conduite descendant au pont de la Monne,
- 4ème partie de conduite remontant au village,
- fontaine B, etc …
Le fameux château d’eau « au départ A » est à construire, il s’agit à coup sûr de la cabane dont nous parlions précédemment, située à côté de la voûte.
Le financement de tous ces travaux nécessite une imposition extraordinaire à Saint Saturnin par la commune. Et les premières fontaines (il y en a plusieurs à construire dans le village) prévues étant trop petites pour « la multitude des bestiaux » du village, le projet est révisé.
Finalement le 28 août 1857, on constate que depuis 3 mois les nouvelles fontaines sont à peu près terminées, sauf une car les habitants s’y opposent, la trouvant trop petite pour leur quartier, et ils menacent de faire violence si cela n’est pas changé.
En 1871, la source de Sazeirat ne suffit plus, alors une autre direction est prise et le Conseil Municipal délibère sur « l’opportunité de faire la recherche de sources d’eau pour alimenter les fontaines de la commune qui en étaient presqu’entièrement dépourvues, le conseil considérant que le chef-lieu de la commune est totalement privé d’eau et qu’un ingénieur hydroscope se charge de lui en fournir une quantité qui pourra amplement suffire à tous les besoins moyennant la somme de 15000 francs ».
En 1874, on demande des fonds supplémentaires car « tout est tari », pour continuer les fouilles commencées « pour la recherche d’un peu d’eau alimentaire » dont la commune est totalement dépourvue.
En 1876, le chef-lieu de la commune (toujours Saint Saturnin, car Chadrat est pourvu de nombreuses sources) n’a pas d’eau potable et ne trouve pas des ressources suffisantes pour s’en procurer malgré les plaintes des habitants.
Finalement, le 10 juillet 1880, est dressé un « acte public par lequel des habitants ou propriétaires domiciliés à Saint Saturnin, au nombre de 212, sont constitués en société civile à l’effet d’opérer dans cette commune des travaux de recherche d’eau de source et font cession gratuite de l’eau captée ainsi que de tous leurs droits sur les canaux, tuyaux de conduites et autres ».
C’est le point de départ du captage de Cladeyrat. Mais ceci est une autre histoire…

Armelle Guillaumont

 

Autorisation de parution donné pour le site internet des Amis de Saint Saturnin Copyright © Association du Site de Gergovie® (Bulletin de l’Association du Site de Gergovie n° 17 – juin 1999). Tous droits réservés.
 

   

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