En
octobre 1936, Blanche Selva quitte
Barcelone en proie à la guerre civile,
abandonnant tout précipitamment et
s’installe à Moulins sur Allier chez
Albert Sarrazin, ancien scholiste dont
la femme Marguerite fut jadis son élève.
Après deux ans passés dans cette ville,
elle arrive à St Saturnin d’Auvergne où
elle demeurera jusqu’à la fin de sa vie.
Mme Marie-Thérèse Gallayrand qui veille
désormais sur elle et sera sa
bienfaitrice tout au long de ces années.
Blanche s’installe dans une petite
maison près du château, où la rivière
qui coule en contrebas chante à ses
oreilles attentives et elle va vivre là,
courageusement, durement affectée par la
congestion cérébrale qui l’avait frappée
en 1930, privant le monde musical d’une
de ses plus grandes interprètes.
Des écrits, des lettres, quelques
témoignages oraux de personnes qui se
souviennent d’elle permettent de
reconstituer par bribes cette vie d’un
dénuement quasi total qui dura presque 5
ans.
Pourquoi choisit-elle Saint Saturnin
pour s’y retirer ? Pourquoi ne pas avoir
cherché refuge dans sa famille
paternelle de Los Masos de ce côté-ci
des Pyrénées ? Il est difficile encore
aujourd’hui de le savoir. Le beau
village de St Saturnin, son climat
salubre, lui ont sûrement convenu. Elle
habite près de l’église où elle peut
venir souvent se recueillir, la nature
qu’elle a toujours profondément aimée
est toute proche, elle a un piano
compagnon de toujours et quelques amis
qui vont soutenir ses dernières années.
Elle se lance dans un long ouvrage,
vendu par souscription grâce à l’aide
matérielle de M. et Mme Debus de
Clermont-Ferrand et de Sété Nataf, une
ancienne élève, destiné à enseigner ce
qui, pour elle, est vraiment l’art de
pratiquer le piano. Une centaine
d’abonnés s’y intéressent, mais la
guerre et la maladie interrompent ce
projet.
Elle compose une œuvre magistrale, hélas
perdue, un Oratorio pascal sur un texte
catalan de Miquel Melendres, oblat
bénédictin, avec qui elle entretient une
longue correspondance et diverses œuvres
dont « Ô Fleurs des fleurs », cantique à
la vierge Marie.
Elle tient l’harmonium de l’église
accompagnant les chants de la messe et
s’occupe avec patience et passion de la
chorale dont elle dirige les progrès
dans une salle du château.
Aidée de sa canne, habillée de blanc ou
de noir selon divers témoignages, elle
parcourt le plus souvent possible la
campagne d’une démarche saccadée et mal
assurée, accompagnée de sa fidèle
chienne Formose, revenue avec elle de
Barcelone.
Elle continue à correspondre avec son
ami Joan Massia, qui l’accompagnait avec
succès au violon de 1925 à 1930 dans de
nombreux concerts, avec René de Castéra,
son tourneur de pages des grandes
occasions, avec Guy de Lioncourt, avec
Auguste Sérieyx qu’elle connaît depuis
1903 lorsqu’elle suivait avec lui le
cours de composition de Vincent d’Indy à
la Schola Cantorum et avec des élèves
qui viennent la voir pour soutenir sa
détresse et sa solitude, Andrée Vidal
notamment. Elle reçoit un ou deux amis
du temps de la Schola, mais beaucoup ne
viendront jamais. La guerre, rend les
déplacements difficiles et hasardeux.
A St Saturnin même, elle se lie avec des
artistes qui y séjournent, la comédienne
Magdeleine Berubet, le peintre Lucien
Madrassi, Melle Gérodias qui avait une
belle voix, Mme Repolt, Anaïs Charpille
Sa grande spiritualité, son désintérêt
total des choses matérielles, son
altruisme fondamental l’aident à passer
sans plaintes et sans acrimonie les
moments difficiles causés par sa
maladie, toujours portée par des projets
d’art. Elle prend contact avec un
professeur de dessin et se lance dans
cette nouvelle activité.
Elle fait des projets pour retourner à
Barcelone, mais la maladie est là,
incurable. Accueillie par des sœurs de
Cambrai réfugiées à St Amant Tallende,
toutes admiratrices de sa foi et de son
courage, elle vit ses derniers jours
dans cette commune qui jouxte St
Saturnin. Accompagnée par Marie-Thérèse
Gallayrand qui se souvient de « ses yeux
d’un bleu céleste », son dernier soupir
sera : « enfin Dieu ! ». C’était le 3
décembre 1942, elle avait presque 59
ans.
Elle qui, à 18 ans, fut nommée
professeur de piano à la Schola Cantorum
de Paris, interprétait avec succès les
oeuvres des plus grands compositeurs,
était invitée à jouer dans les salons
musicaux parisiens les plus célèbres et
dans les salles de concert les plus
réputées, recevant la reconnaissance
officielle du roi des Belges, du roi des
Serbes, de la république Tchèque,
applaudie dans toute l’Europe, semble
maintenant oubliée de toutes et tous,
ses confrères, ses amis, ses élèves.
Toujours prête à aider généreusement, à
donner de son énergie, de son talent, de
son temps, de sa vie, en toutes
occasions et pour les bonnes causes,
ayant usé et abusé de ses forces pour
les autres et surtout pour les plus
méritants et souvent les plus humbles,
Blanche Selva termine sa vie seule et
démunie.
A sa mort, on se souvient cependant
d’elle dans la presse, le temps de
quelques annonces, et sur les ondes. La
plume d’Alfred Cortot, de Gustave
Samazeuilh, de Guy de Lioncourt lui
rendent un dernier hommage. Des journaux
de province, là où elle est venue
maintes fois jouer et diffuser de la «
belle et bonne musique », donnent un
bref adieu. Gustave Samazeuilh lui
consacre une émission de radio et un
concert est donné à Paris la reliant
encore une fois à son Maître Vincent
d’Indy.
Puis, son nom, porté quelque temps par «
l’Association des Amis de Blanche Selva
», sous la présidence d’honneur de
Joseph-Guy Ropartz, tombe dans l’oubli,
restant seulement dans le souvenir des
historiens et des spécialistes de la
musique. Il faut attendre l’année 2000
pour que la flamme soit relancée grâce à
la volonté de Guy Selva, un de ses
petits cousins, qui crée « l’Association
Blanche Selva ».
Depuis, à l’initiative du bureau et de
son Président, les actions se sont
multipliées, commémorations, concerts,
journée d’étude, CD enfin une
biographie, toutes s’appuyant sur un
fonds documentaire exceptionnel. Le nom
de Blanche Selva s’inscrit à nouveau
parmi ceux des plus grands artistes du
début du XXème siècle.
Guy
Selva
Président |
|
|
|
|