Blanche Selva Pianiste


ARTISTES

Document proposé par Guy Selva

Blanche SELVA

à Saint Saturnin (1938-1942)

 
En octobre 1936, Blanche Selva quitte Barcelone en proie à la guerre civile, abandonnant tout précipitamment et s’installe à Moulins sur Allier chez Albert Sarrazin, ancien scholiste dont la femme Marguerite fut jadis son élève. Après deux ans passés dans cette ville, elle arrive à St Saturnin d’Auvergne où elle demeurera jusqu’à la fin de sa vie.

Mme Marie-Thérèse Gallayrand qui veille désormais sur elle et sera sa bienfaitrice tout au long de ces années. Blanche s’installe dans une petite maison près du château, où la rivière qui coule en contrebas chante à ses oreilles attentives et elle va vivre là, courageusement, durement affectée par la congestion cérébrale qui l’avait frappée en 1930, privant le monde musical d’une de ses plus grandes interprètes.

Des écrits, des lettres, quelques témoignages oraux de personnes qui se souviennent d’elle permettent de reconstituer par bribes cette vie d’un dénuement quasi total qui dura presque 5 ans.

Pourquoi choisit-elle Saint Saturnin pour s’y retirer ? Pourquoi ne pas avoir cherché refuge dans sa famille paternelle de Los Masos de ce côté-ci des Pyrénées ? Il est difficile encore aujourd’hui de le savoir. Le beau village de St Saturnin, son climat salubre, lui ont sûrement convenu. Elle habite près de l’église où elle peut venir souvent se recueillir, la nature qu’elle a toujours profondément aimée est toute proche, elle a un piano compagnon de toujours et quelques amis qui vont soutenir ses dernières années.

Elle se lance dans un long ouvrage, vendu par souscription grâce à l’aide matérielle de M. et Mme Debus de Clermont-Ferrand et de Sété Nataf, une ancienne élève, destiné à enseigner ce qui, pour elle, est vraiment l’art de pratiquer le piano. Une centaine d’abonnés s’y intéressent, mais la guerre et la maladie interrompent ce projet.

Elle compose une œuvre magistrale, hélas perdue, un Oratorio pascal sur un texte catalan de Miquel Melendres, oblat bénédictin, avec qui elle entretient une longue correspondance et diverses œuvres dont « Ô Fleurs des fleurs », cantique à la vierge Marie.

Elle tient l’harmonium de l’église accompagnant les chants de la messe et s’occupe avec patience et passion de la chorale dont elle dirige les progrès dans une salle du château.

Aidée de sa canne, habillée de blanc ou de noir selon divers témoignages, elle parcourt le plus souvent possible la campagne d’une démarche saccadée et mal assurée, accompagnée de sa fidèle chienne Formose, revenue avec elle de Barcelone.

Elle continue à correspondre avec son ami Joan Massia, qui l’accompagnait avec succès au violon de 1925 à 1930 dans de nombreux concerts, avec René de Castéra, son tourneur de pages des grandes occasions, avec Guy de Lioncourt, avec Auguste Sérieyx qu’elle connaît depuis 1903 lorsqu’elle suivait avec lui le cours de composition de Vincent d’Indy à la Schola Cantorum et avec des élèves qui viennent la voir pour soutenir sa détresse et sa solitude, Andrée Vidal notamment. Elle reçoit un ou deux amis du temps de la Schola, mais beaucoup ne viendront jamais. La guerre, rend les déplacements difficiles et hasardeux.

A St Saturnin même, elle se lie avec des artistes qui y séjournent, la comédienne Magdeleine Berubet, le peintre Lucien Madrassi, Melle Gérodias qui avait une belle voix, Mme Repolt, Anaïs Charpille Sa grande spiritualité, son désintérêt total des choses matérielles, son altruisme fondamental l’aident à passer sans plaintes et sans acrimonie les moments difficiles causés par sa maladie, toujours portée par des projets d’art. Elle prend contact avec un professeur de dessin et se lance dans cette nouvelle activité.

Elle fait des projets pour retourner à Barcelone, mais la maladie est là, incurable. Accueillie par des sœurs de Cambrai réfugiées à St Amant Tallende, toutes admiratrices de sa foi et de son courage, elle vit ses derniers jours dans cette commune qui jouxte St Saturnin. Accompagnée par Marie-Thérèse Gallayrand qui se souvient de « ses yeux d’un bleu céleste », son dernier soupir sera : « enfin Dieu ! ». C’était le 3 décembre 1942, elle avait presque 59 ans.

Elle qui, à 18 ans, fut nommée professeur de piano à la Schola Cantorum de Paris, interprétait avec succès les oeuvres des plus grands compositeurs, était invitée à jouer dans les salons musicaux parisiens les plus célèbres et dans les salles de concert les plus réputées, recevant la reconnaissance officielle du roi des Belges, du roi des Serbes, de la république Tchèque, applaudie dans toute l’Europe, semble maintenant oubliée de toutes et tous, ses confrères, ses amis, ses élèves. Toujours prête à aider généreusement, à donner de son énergie, de son talent, de son temps, de sa vie, en toutes occasions et pour les bonnes causes, ayant usé et abusé de ses forces pour les autres et surtout pour les plus méritants et souvent les plus humbles, Blanche Selva termine sa vie seule et démunie.

A sa mort, on se souvient cependant d’elle dans la presse, le temps de quelques annonces, et sur les ondes. La plume d’Alfred Cortot, de Gustave Samazeuilh, de Guy de Lioncourt lui rendent un dernier hommage. Des journaux de province, là où elle est venue maintes fois jouer et diffuser de la « belle et bonne musique », donnent un bref adieu. Gustave Samazeuilh lui consacre une émission de radio et un concert est donné à Paris la reliant encore une fois à son Maître Vincent d’Indy.

Puis, son nom, porté quelque temps par « l’Association des Amis de Blanche Selva », sous la présidence d’honneur de Joseph-Guy Ropartz, tombe dans l’oubli, restant seulement dans le souvenir des historiens et des spécialistes de la musique. Il faut attendre l’année 2000 pour que la flamme soit relancée grâce à la volonté de Guy Selva, un de ses petits cousins, qui crée « l’Association Blanche Selva ».

Depuis, à l’initiative du bureau et de son Président, les actions se sont multipliées, commémorations, concerts, journée d’étude, CD enfin une biographie, toutes s’appuyant sur un fonds documentaire exceptionnel. Le nom de Blanche Selva s’inscrit à nouveau parmi ceux des plus grands artistes du début du XXème siècle.

Guy Selva
Président

   
 

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