Les
premiers documents ou témoignages écrits
relatifs à Saint-Saturnin n'apparaissent
de façon suivie qu'au milieu du XIIIe
siècle, donc fort tardivement. Cette
situation n'est cependant pas
exceptionnelle, car c'est vers cette
date que les archives commencent à
s'étoffer dans la région. Si les
archives urbaines, et au tout premier
chef ecclésiastiques, remontent bien
au-delà, que ce soit notamment celles
livrées par le cartulaire de
Sauxillanges ou le chapitre cathédral de
Clermont, riches en actes intéressant
dès le XIe siècle les alentours de
Saint-Saturnin, force est de constater
qu'elles demeurent muettes quant à notre
village.
L'ancienneté du peuplement est pourtant
indubitable ; la paroisse compte
plusieurs toponymes gallo-romains :
Issac, Pagnat, Chadrat et Espirat, mais
comme pour Saint-Amant, et à la
différence de Saint-Sandoux (l'ancien
Maimac) ou de Tallende, le nom
originel en est perdu. La chapelle de la
Madeleine constitue le plus ancien
témoin archéologique, daté
approximativement du XIe siècle.
La plus
ancienne mention du village remonte sans
doute à octobre 1218, dans un acte où
les héritiers du puissant archevêque de
Bourges, Guillaume de Cros, mort peu
auparavant, se partagent les terres
familiales, qui sont délimitées du nord
au sud en prenant pour points de repère
Saint-Saturnin et Riom. Cette première
apparition du toponyme est évidemment
loin d'être anodine : le choix du point
de repère se doit d'être significatif ;
les La Tour sont suzerains directs des
Cros pour leur fief de Cros, et ces
derniers ne sont pas possessionnés à
Saint-Saturnin, mais à Tallende.
Le
silence antérieur des archives
s'explique vraisemblablement par une
puissante, et même exclusive
implantation locale de la famille des La
Tour, originaire de La Tour-d'Auvergne
et très largement possessionnée dans l'Artense.
Mais cette implantation n'est pas
explicitement attestée avant 1245-1248.
En 1245 en effet, Guillaume de La Tour,
prévôt de Brioude, oncle de Bernard,
seigneur de La Tour, teste à Saint-Sandoux
et élit sépulture à Saint-Saturnin. Bien
auparavant, son aïeul Bernard de La Tour
avait donné à l'abbé de Cluny saint
Odilon de Mercoeur (994-1049) la moitié
de l'église de Plauzat et divers biens
situés aux abords de Saint-Sandoux. Puis
en 1248, Bernard, neveu de Guillaume,
teste à son tour. Son premier legs va à
l'église de Saint-Saturnin, à laquelle
il lègue trente sous de rente pour y
célébrer son anniversaire ; il laisse
cinq sous de rente dans le même but à
l'église de Saint-Pardoux, chef-lieu de
la paroisse dont relevait le château de
La Tour-d'Auvergne, et deux sous de
rente à la luminerie (l'institution
chargée de l'éclairage) de la chapelle
du château de La Tour. Cette hiérarchie
des legs ne laisse aucun doute : les La
Tour ont alors quitté leur fief éponyme
pour s'installer à Saint-Saturnin ;
Saint-Sandoux constitue alors le
patrimoine de leurs cadets, que ce soit
Guillaume de La Tour, le prévôt de
Brioude, ou Bertrand, le fils cadet de
Bernard couché dans son testament de
1248. Autre indice probable de cette
implantation à Saint-Saturnin, la
donation en 1212 par Philippe-Auguste à
« son cher et fidèle » Bertrand de La
Tour des châteaux d'Orcet et
Montpeyroux, ainsi que Coudes,
intervient dans le cadre de la toute
récente confiscation par le roi de
France d'une partie des biens du comte
d'Auvergne. Enfin la datation de
l'église de Saint-Saturnin, joyau de
l'art roman, qui ne peut reposer que sur
des critères stylistiques, faute de
documents d'archives, et que les
historiens d'art font remonter au XIIe
siècle, atteste de façon éloquente de la
prédilection des La Tour pour
Saint-Saturnin : à eux seuls en effet
peut revenir l'initiative et le mérite
d'une construction aussi éminente.
L'église n'est dotée d'aucune relique
insigne, et sa dépendance à l'égard de
l'abbaye Saint-Austremoine d'Issoire,
dont elle est d'un des prieurés-cures,
n'auraient su justifier l'érection d'un
sanctuaire aussi important.
Toute
l'histoire de Saint-Saturnin, au moins
jusqu'à la fin du moyen âge, est donc
dominée par la présence des La Tour dont
le fort château domine le village
enserré pour une majeure part dans une
enceinte fortifiée datant sans doute de
la première moitié du XVe siècle. La
position des La Tour est encore
rehaussée en 1437 par l'héritage qu'ils
font du comté d'Auvergne, suite à la
mort sans enfant en 1424 de la comtesse
Jeanne II, d'où il passa à sa nièce
Marie, femme de Bertrand [V] de La Tour,
puis au décès de celle-ci en 1437 à leur
fils Bertrand [VI].
Le
village jouit depuis au moins la fin du
XIIIe siècle d'une foire d'importance
pour la Saint-Géraud (13 octobre) ; il
est doté au plus tard au XVe siècle d'un
hôpital, et compte dès le XIIIe siècle
une assez importante communauté de
prêtres, plus tard appelés « filleuls »
ou « communalistes », dépourvus de
charge pastorale mais voués à la
célébration de messes et à la prière
pour les défunts de la paroisse.
Mathieu Lescuyer
Conservateur en chef au département des
Manuscrits,
Bibliothèque nationale de France
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